samedi 6 juin 2020

Papa... 30 ans que tu es parti.

Il y a 30 ans aujourd'hui que mon daddy est parti... Voici mon courriel à mon grand frère et à ma grande soeur où je leur raconte mon expérience du 5 et du 6 juin 1990. Je leur ai écrit ce courriel il y a 10 ans., le 6 juin 2010.



Je suis avec papa depuis hier.

Le fameux téléphone de l’hôpital me demandant si on veut le gaver, mes appels de panique à vous et à maman pour savoir ce qu’on fait... Et puis le déclic...

Je rappelle à l’hôpital pour qu’on m’explique que papa au fond, il est en train de mourir... Je suis partie de mon travail (ville Lasalle) comme une bombe en auto. En arrivant sur Décarie, c’est le bouchon solide. Me souvenant d’une tactique d’une de mes copines, j’enfile sur l’accotement en espérant me faire prendre par la police... Ce qui s’est inévitablement produit. Quand le policier atteint la hauteur de ma porte d’auto, je suis naturellement en larmes. J’essaie de lui expliquer, il a de la difficulté à me comprendre, mais il voit bien que je ne joue pas la comédie. Quand le second flic vient nous rejoindre pour voir si je fais du trouble, l’autre lui fait signe que c’est sérieux. Je me ressaisis et j’arrive à leur expliquer. Le deuxième policier me regarde dans les yeux et me dit : « Là, tu vas te coller à nous et nous suivre super collé. Tu te fous des autres véhicules, on va t’ouvrir le chemin. Es-tu capable de faire ça où tu veux qu’on t’amène nous-mêmes à l’hôpital? »  Je leur dis que ça irait, mais de ne pas aller trop vite quand même.

Et la parade a commencé. Ils ont mis les cerises et la sirène dans le tapis. J’ai suivi comme ils me l’avaient demandé. Un automobiliste a tenté de se mettre entre eux et moi à un moment donné, croyant que je faisais ma smatte pour éviter le bouchon. Z’ Auriez dû voir le policier sortir son corps de l’auto pour dire au chauffard « Hey le cave, t’as pas compris? On t’a dit de te tasser et de laisser passer... » Le gars est rentré assez vite dans sa ligne...

Enfin au rond-point Décarie, ils se sont arrêtés en plein milieu et l’un d’eux est venu me voir. « Tu veux qu’on aille jusqu’à l’hôpital avec toi? » je lui ai dit merci, que j’avais peur d’avoir un accident à tenter de les suivre trop vite... Je les ai remerciés du fond du coeur, toujours en larmes, bien sûr. Il m’a souhaité bon courage. C’est là encore une fois que la réalité a refait surface... Mon père, daddy, est en train de mourir.

Il faut que vous sachiez que dans ma tête de petite fille et très longtemps dans mon adolescence, j’ai vécu avec la conviction que si papa mourait, je ne serais pas capable de survivre et que je mourrais aussi. Il était si vieux que j’étais certaine qu’il allait mourir, tout le temps. Je me réveillais parfois la nuit et si je ne l’entendais pas tousser (il fumait dans le temps) ou ronfler, je me levais et allais voir à la porte de sa chambre pour le voir bouger ou simplement respirer. Puis rassurée, je retournais me coucher.

Je suis finalement arrivée à l’hôpital. C’est la mère de mon ancien amoureux qui m’a accueilli. Elle travaillait aux soins palliatifs. Elle m’a confirmé que c’était sérieux, que la fin approchait et m’a rassurée qu’on avait pris la bonne décision selon elle de le laisser partir, sa vie était finie. Elle m’a accompagnée dans la chambre de papa. J’avais tellement peur qu’il meure devant moi. J’ai pris la main de Daddy. Je savais qu’il avait peur de St-Pierre en rentrant au paradis. Je l’ai rassuré. Je lui ai dit qu’il avait été un bon père, une si bonne personne et que St-Pierre serait heureux de l’accueillir, de ne pas avoir peur. La mère de mon chum m’a fait signe de regarder et elle a tourné l’autre côté du visage de papa vers moi. « Il t’entend » qu’elle me dit remplie d’émotions. Papa avait une larme qui coulait sur sa joue.

Ça c’était hier, le 5 juin. Vous comprendrez pourquoi papa était si fortement avec moi hier, ou plutôt que j’étais avec lui...

Maman est arrivée avec tante Liliane et toi, Mimi, je ne me rappelle pas si tu y étais cette journée... Ou seulement en soirée... Je me souviens par contre que tu y étais le lendemain. Je t’ai appelée au cours de la journée Line. C’était difficile de déterminer si c’était la fin dans 24 heures ou dans 1 semaine. Je me souviens qu’on hésitait, on ne savait pas. Puis en fin de journée, je savais, nous avons parlé et je t’ai dit de t’en venir... Tu te rappelles ce que tu m’as dit? « Dis à Woozie que je m’en viens. Dis-lui d’essayer de m’attendre, mais que s’il n’est pas capable, je vais comprendre. » Je ne sais plus si tu m’as dit ça la veille ou le 6 juin en matinée, avant de partir des îles. Mais je me souviens de lui avoir dit. Je lui ai dit le matin très tôt quand je suis arrivée à l’hôpital. Il m’a serré la main très fort quand je lui ai dit. Je n’en revenais pas qu’il soit encore si proche de nous, si vivant au fond... C’est comme si je l’avais libéré de lui avoir dit Line. Parce qu’ensuite, tout est allé passablement vite.

Michel et moi, on était près de lui. Michel lui lisait des passages de la bible, moi, je caressais la tête de papa doucement pour le rassurer. Maman et Liliane n’étaient pas encore là. Michel et moi sommes allés deux minutes dans la salle d’attente (fumer une cigarette?), puis on est revenu tout de suite. On a remarqué que papa n’allait pas bien. Je suis allée chercher un infirmier, j’avais peur de la violence de la mort. Je croyais que papa allait s’étouffer et courir après son souffle quelque chose du genre. L’infirmier a été très rassurant. Il nous a expliqué comment ça se passerait et il est resté avec nous. Je me rappelle être tout près de papa, de son côté droit et Michel un peu à l’écart. Je suis allée te prendre par la main, Michel et je t’ai amené près de papa pour que tu tiennes sa main gauche. Nous étions chacun de notre côté lui tenant la main et le rassurant quand il a pris ses deux dernières respirations. Puis, une fois qu’il n’a plus respiré, j’ai senti une vague d’énergie extraordinaire rentrer en moi de la main de papa... Je suis restée quelques secondes près de lui. Je me souviens Michel que tu t’étais un peu retiré, question d’absorber tout ça.

Puis, j’ai réalisé que je n’étais pas morte... Et que je ne mourrais pas. Je me souviens d’aller de Michel à papa et de dire à papa « Ça va aller papa, c’est correct, je ne vais pas mourir... ». J’étais redevenue la petite fille terrifiée... Puis libérée...

Dans les minutes qui ont suivi, maman et Liliane sont arrivées. Je suis allée embrasser papa encore une dernière fois et je lui ai dit qu’il fallait que je parte. Que je devais aller au devant de toi, Line! Je disais à papa que je ne pouvais pas te faire ça, te laisser arriver à l’hôpital sans savoir déjà, que tu avais besoin de temps entre l’aéroport et l’hôpital pour te faire à l’idée. Je voulais te donner le temps d’absorber la nouvelle. Je le sentais comme ça de toute façon. Je suis donc repartie de l’hôpital en troisième vitesse pour ne pas te manquer à l’aéroport. Papa était avec moi dans l’auto. J’ai même ri en me disant que je pourrais refaire le coup de la police, mais je me suis calmée. Je n’ai pas eu le choix, j’ai été prise derrière un cortège funèbre...

Le reste, tu connais l’histoire grande sœur. Dès que tu m’as vu dans l’aire des arrivées, tu as compris qu’il n’avait pas été capable de t’attendre. Tu m’as même dit l’avoir senti dans l’avion, en plein vol.

30 ans qu’il est parti, mon Daddy et aujourd’hui, ce matin, il me manque autant qu’il y a 30 ans... Mais ça va aller papa, c’est correct, je ne vais pas mourir...


TaLou
xxo